Domaine Thibert : Le bel inconnu (26/04/18)


 

Il en est des domaines comme des gens, certains restent plus ou moins dans l’ombre des autres plus médiatisés, plus communicants ou ayant tapé dans l’œil d’un critique influent… Je crois que c’est le cas du domaine Thibert à Fuissé.

Peu de passionnés connaissent vraiment ce domaine du Mâconnais pourtant bien présent en restauration et possédant un patrimoine de vignes assez exceptionnel dans toutes les appellations qui comptent dans la région.

Mais les choses vont très certainement changer et je vais vous expliquer pourquoi.

 

Christophe Thibert, la cinquantaine fringante, et sa sœur Sandrine sont aux commandes du domaine depuis 2005 et un passage de relais en douceur avec leurs parents (Christophe a débuté à 22 ans en 1990). S’étant agrandi au fil du temps pour atteindre 30 ha de vignes aujourd’hui, le vignoble familial comprend les appellations Mâcon-Verzé, Mâcon-Fuissé, Mâcon-Prissé, Pouilly-Fuissé, Pouilly-Loché, Pouilly-Vinzelles et Saint-Véran.

 

Fuissé, vue des Vignes Blanches

Vue du village de Fuissé, le cœur du domaine Thibert, depuis Les Vignes Blanches

 

Il est à noter que le domaine n’a jamais fait de négoce et a donc toujours vendu le produit de ses propres vignes. Un choix qui honore le vigneron mais qui l’oblige aussi à prendre des décisions rationnelles pour assurer la pérennité du domaine. C’est notamment pour cela qu’il n’est pas engagé aujourd’hui dans l’agriculture biologique alors qu’il en aurait clairement l’envie. Un essai en 2008 s’est révélé contreproductif en mettant en péril « la santé physique, mentale et financière » de Christophe Thibert, sans doute insuffisamment préparé alors aux épreuves météorologiques imposées sur un si grand domaine. Depuis, si Christophe a dû revoir ses ambitions à court terme, il également pris du recul et développé un projet à long terme, l’idée étant de mettre en place la structure, les équipements et le personnel nécessaire à la mise en œuvre des principes de l’agriculture biologique sur le domaine et d’affronter d’autres millésimes 2008 avec plus de certitudes.

Aujourd’hui, en 2018, les choses sont bien avancées et si l’objectif n’est pas encore atteint, il est à portée de main. De nouveaux chais ont été construits, de nouveaux tracteurs ont été achetés, et il ne reste plus que les 2,5 ha les plus pentus du vignoble qui ne sont pas labourés, ce qui devrait être réglé par l’achat d’un chenillard assez rapidement (40 000 euros d’investissement tout de même pour info…). Les gens pensent que l’agriculture biologique est un choix… C’est vrai mais c’est un choix qui se prépare. On ne devient pas bio du jour au lendemain et cela demande du temps et des moyens financiers.

Ceci étant, le domaine n’a pas attendu pour produire de bons vins, vous vous en doutez bien. La viticulture est méticuleuse et l’entretien du matériel végétal est exemplaire : les rebrochages réguliers (remplacement de ceps morts) et les plantations sont faits à partir de sélections massales, la taille est courte et en Guyot Poussard pour favoriser les flux de sève et réduire les maladies du bois. Le vignoble, dont l’âge moyen est de 40 ans, est ainsi renouvelé et apte à produire le meilleur dans la continuité.

 

Pouilly-Vinzelles Les Longeays décavaillonné

Pouilly-Vinzelles Les Longeays, tout juste décavaillonné (26/04/18)

 

Les labours sont effectués quasiment partout comme déjà indiqué, avec une adaptation aux caractéristiques de chaque parcelle (enherbement spontané des inter-rangs là où c’est nécessaire pour réduire l’érosion par exemple, mais labour intégral là où il serait trop concurrentiel). Les ébourgeonnages sont précoces et renouvelés si nécessaire. Et les maturités sont très suivies pour ne surtout pas vendanger en surmaturité et conserver de la fraîcheur dans les vins.

 

Consignes d'ébourgeonnage

Consignes d’ébourgeonnage par le chef !

 

Bref, c’est une viticulture qui me semble en tous points exemplaire et pragmatique.

Dans la continuité d’une vendange récoltée à juste maturité, tout est fait pour conserver la fraîcheur des jus en vinification et en élevage. Le domaine dispose depuis quelques années de magnifiques installations spacieuses thermo-régulées lui permettant d’effectuer des vinifications parcellaires de tous volumes et des élevages individualisés.

Le bois est utilisé avec parcimonie sur les parcellaires (11 mois sur un total de 18 à 22 mois et peu de fûts neufs) et n’est jamais dominant dans les vins. Les bâtonnages sont limités, permettant de conserver la pureté et la fraîcheur des vins, même sur les terroirs schisteux plus délicats de ce point de vue (Les Scélés par exemple, voir photo ci-dessous).

 

Les Scélés, terroir schisteux

Les Scélés : terroir schisteux dont il faut maîtriser la maturité

 

Les filtrations sont très limitées et non systématiques et les collages sont à la pointe des connaissances actuelles pour éclaircir les vins sans les dépouiller (pas de bentonite).

Le sulfitage n’est pas particulièrement réduit, ce qui fait que les vins peuvent l’être légèrement eux (réduits). Associé à des élevages assez réducteurs (les vins de climat passent la 2ème moitié de leur élevage en cuve inox), il contribue à apporter une fine réduction par des notes de grillé que je trouve personnellement très élégantes, en plus d’être un gage de bonne et longue évolution en bouteille. Il semblerait que Michel Bettane les trouve trop présentes, il faut dire que c’est dans l’air du temps de réduire les doses de soufre, tendance que je déplore personnellement car on a de plus en plus d’évolutions rapides dans les vins blancs, amenant bien des déceptions. J’ajouterais ici en aparté que les domaines les plus plébiscités des amateurs pour leurs vins blancs n’ont jamais cherché à se passer de la réduction (Coche-Dury, Raveneau, Ramonet, d’Auvenay, Guffens, Dagueneau, Cotat, etc…).

L’avantage donc, c’est qu’une bouteille de chez Thibert vieillit très bien ! Raison pour laquelle Christophe et Sandrine conservent et commercialisent des vins avec un décalage qui peut être assez important, notamment en magnums. Une belle opportunité pour les amateurs de découvrir ses crus parfaitement conservés et arrivant à maturité. Opportunité que je n’ai pas manquée de saisir puisque je vous propose 3 des plus beaux climats du domaine sur différents millésimes : Pouilly-Vinzelles Les Longeays, Pouilly-Fuissé Vignes Blanches, Pouilly-Fuissé Les Ménétrières.

 

Pouilly-Vinzelles Les Longeays

Les Longeays, un des grands climats de Vinzelles avec Les Quarts

 

En conclusion, je dirais que le domaine possède toutes les cartes en main pour devenir un des fleurons du Mâconnais et je me demande même pourquoi il ne l’est pas déjà. Car les vins sont remarquables et n’ont rien à envier aux autres grands vignerons de la région. Je pense que l’explication est dans le style des vins qui est peut-être un peu moins démonstratif, reposant sur la pureté, l’élégance et la fraîcheur, des qualités qui ne sont pas forcément celles des canons esthétiques locaux.

A vous de les découvrir et de sortir des sentiers battus !