Voilà un domaine dont les vins m'ont enthousiasmés lors des récentes dégustations, il me tardait donc d'en savoir plus en allant à la rencontre de Romain Cornin à Chaintré.
Romain Cornin prend la suite de 3 générations de vignerons en 2011 après avoir obtenu son diplôme d’œnologue. Il a la chance de poursuivre le travail de son père Dominique qui s’est engagé dans l’agriculture biologique il y a 20 ans déjà, ce qui en fait un des pionniers de la région. Romain bénéficie ainsi de toute l’expérience acquise par son père pendant cette période, ainsi que des évolutions engagées (biodynamie, méthode de taille, aménagements de cuverie, essais d’élevage dans différents contenants, etc…). Il a également la chance d’avoir un patrimoine de vignes exceptionnel avec de très vieilles parcelles de chardonnay plantées par les générations précédentes et dans lesquelles il peut désormais faire des sélections massales pour leurs nouvelles plantations. Le domaine compte aujourd’hui environ 10 ha sur lesquels il ne produit que des blancs. Il ne fait pas de négoce.
Expérience, vieilles vignes, viticulture pointue et vinifications maîtrisées, il ne faut pas aller plus loin pour expliquer la qualité des vins que j’ai perçue lors de mes dernières dégustations. Regardons de plus près tout de même…
Rendez-vous est pris à la cuverie sur la commune de Chaintré. C’est ici qu’habitaient les grands-parents de Romain mais la maison et la cave sont désormais inutilisées. En revanche, une cuverie récente (2004) et très fonctionnelle y a pris le relais. Les petites cuves inox (26 et 40 hl), demi-muids (500 l) et barriques y renferment les millésimes 2017 et 2018 en cours d’élevage.
Les pièces utilisées pour les élevages des Parcellaires de Pouilly
Romain commence par m’expliquer autour d’un verre les spécificités de ces différentes cuvées, toutes produites en grande majorité sur Chaintré mais aussi sur Chânes, cette petite commune située aux confins du Beaujolais et du Mâconnais, produisant autant de vins rouges que de vins blancs.
Le Mâcon-Chaintré et le Saint-Véran Les Serreuxdières sont produits sur Chânes et partagent le même coteau argilo-calcaire coupé en deux par l’INAO (et c’est justifié nous dit Romain) ; la partie haute, plus rocheuse, produit du Saint-Véran quand la partie basse aux sols plus profonds produit du Mâcon-Chaintré (qui s’appelait d’ailleurs Mâcon-Chânes jusqu’à ce que l’INAO réduise le nombre de villages apposant leur nom dans les Mâcon).
Le Mâcon-Fuissé Les Bruyères est produit entre Chaintré et Fuissé, sur un versant plein nord (c’est pour cela qu’il n’est pas classé en Pouilly). Le terroir est composé de schistes bleus, sur la même veine que des Pouilly-Fuissé comme Pierrefolle des Rontets ou La Croix de Robert-Denogent.
Le domaine possède beaucoup de petites parcelles de Pouilly-Fuissé, mais elles sont toutes proches les unes des autres.
Les Plessys est un très beau climat sur Chaintré qui est situé sur le même coteau et dans le prolongement sud du fameux climat Les Quarts. L’INAO ne l’a toutefois pas intégré à la liste des premiers crus car il n’est pas revendiqué par suffisamment de domaines (et oui c’est un critère…). Le domaine y possède 5 parcelles en tout dont 3 orientées plein Est et 2 orientées Sud-Est ; c’est le dernier parcellaire fait par le domaine, qui a attendu que la parcelle la plus grange, plantée par Dominique, ait atteint 25 ans. Les autres parcelles sont très vieilles, elles ont été plantées les grands-parents et arrière-grands-parents de Romain dans les années 1920/1930 ; Les sols sont issus d’argiles résiduelles avec beaucoup de calcaire actif, ils sont très comparables aux sols des grands crus de la Côte-de-Beaune. Ils donnent du volume au vin et de la fraîcheur.
Les Plessys, sur un magnifique coteau orienté plein Est
Les Chevrières sont situés juste à côté mais plus haut sur les coteaux et sont logiquement sur la roche (15 cm de sol). Le domaine possède de très nombreuses parcelles sur ce climat, pratiquement toutes de très vieilles vignes (les jeunes vignes étant intégrées au Pouilly-Fuissé Village). C’est un terroir également ferrugineux (voir la couleur des sols sur la photo suivante) qui donnent aux vins de la longueur, de la fraicheur et de la finesse. Les Chevrières supportant moins bien le bois que Les Plessys, le vin n’est plus élevé en barriques mais uniquement en demi-muids dont un seul est renouvelé chaque année (le plus vieux ayant une douzaine d’années). A noter que la plupart des parcelles sont situées dans des clos, ce qui a tendance à faire murir plus vite les raisins (les vendanges commencent toujours par là). Romain ajoute que le millerandage est très fréquent sur Les Chevrières, ce qui apporte de la concentration aux vins.
Les Chevrières et ses sols calcaires ferrugineux à la couleur rouge
Le domaine a également des vignes sur le Clos Reyssié (sur la partie qui sera classée en 1er cru), un autre très beau climat de Pouilly que nous n’avons pas eu le temps de visiter.
Le travail à la vigne commence par la taille qui est souvent très courte ici. Si Romain et son père pratiquent en partie une taille classique en arcure mâconnaise simple, ils font également une taille plus courte sur de nombreuses parcelles, une taille à plat rare qui permet selon eux de maîtriser naturellement les rendements et de préserver l’équilibre de la vigne. On voit sur la photo ci-dessous que le rameau conservé est quasiment cassé au niveau de la pliure, Romain m’indique que c’est nécessaire pour freiner la croissance du bourgeon terminal et mieux répartir les flux de sève dans les autres bourgeons :
Cep taillé à plat (on voit bien la cassure à la base du rameau)
L’inconvénient de ce pliage à plat est que le rameau touche le fil de fer qui est conducteur de froid donc cela augmente le risque de gel. S’y ajoute le fait que la baguette est plus basse qu’en arcure, ce qui augmente encore le risque… Donc cette pratique est limitée aux parcelles les moins gélives.
Comme indiqué en introduction, la culture est complètement bio, avec uniquement des désherbages mécaniques. Le domaine travaille les sols sous le rang à plusieurs reprises (buttage, débutttage). Lors de ma visite, ces travaux étaient en cours comme on le voit sur la photo un peu plus haut.
Le domaine effectue des sélections massales sur son beau patrimoine de vieilles vignes et qu’il replante de façon à maintenir une diversité génétique dans les vignes et une complémentarité naturelle. Cela a également une incidence positive sur le taux de mortalité des ceps qui sont plus résistants à l’esca et autres maladies du bois que les clones disponibles chez les pépiniéristes.
Les rendements sont donc naturellement bas, grâce en particulier à la taille et à l’âge moyen des vignes, il n’est donc jamais nécessaire de faire des vendanges en vert, pratique que Romain et Dominique n’apprécient pas et assimilent à la correction d’un « râté » en amont. En moyenne, le domaine obtient 50-55 hl/ha sur les Mâcon et Saint-Véran, et 40-45 hl/ha sur les Pouilly, un peu plus sur 2018 qui est une année record à cet égard. Les vendanges sont effectuées intégralement à la main avec 35-40 coupeurs, ce qui est beaucoup pour 10 ha de vignes mais cela permet de récolter toutes les parcelles en 10 jours pour que chacune d’entre elles soit récoltée à parfaite maturité (les maturités étant justement assez homogènes du fait que les parcelles sont toutes dans le même secteur). Pour la même raison, Romain s’est doté d’un second pressoir de façon à pouvoir vinifier jusqu’à 4 parcelles différentes par jour. Comme il le dit lui-même, c’est du luxe mais un luxe nécessaire pour obtenir le meilleur de leurs terroirs !
Côté cave, toutes les vinifications sont parcellaires. Après un double débourbage pour obtenir des moûts bien clairs, les fermentations des Pouilly-Fuissé sont effectuées en barriques et demi-muids avec une attention particulière portée à ces derniers car les températures peuvent y monter jusqu’à 32° sans refroidissement ; ils équipent donc ceux-ci de serpentins frigorifiques pour maintenir des températures raisonnables, autour de 23-24°C. C’est d’ailleurs depuis qu’ils sont en mesure de réguler la température de fermentation qu’ils ont généralisé l’utilisation des demi-muids. Ils ont également eu des foudres dans le passé mais ils ont arrêté.
Les fermentations peuvent être assez longues et il n’est pas rare que les sucres se terminent au printemps quand la cave se réchauffe.
Les Mâcon et Saint-Véran sont vinifiés à 100% en cuve inox avec une mise en bouteille généralement avant les vendanges suivantes. Il y a une filtration sur les Mâcon (mais pas de collage), ce qui est nécessaire compte-tenu de leur date de mise en bouteilles, les vins n’étant pas suffisamment sédimentés.
L’élevage des Pouilly-Fuissé se fait pendant un an sous bois (50% barriques / 50% demi-muids pour Les Plessys et Clos Reyssié, 100% demi-muids pour Les Chevrières), puis les vins passent encore un an en cuve inox après assemblage. Il n’y a ni collage ni filtration grâce à cet élevage long.
Les interventions en cave sont minimalistes et limitées à des soutirages avec ajout de SO2 dans des proportions raisonnablement faibles dirons-nous, puisque Romain m’a indiqué un SO2 total de 45-50 mg/l sur les Mâcon et 70/75 sur les Pouilly (20 de libre à la mise).
Pour terminer cette visite, je vous propose cette photo de la confluence Mâconnais/Beaujolais où grâce aux explications de Romain, nous pouvons identifier pas moins de 6 AOC sur la même commune :
· Au premier plan Pouilly-Fuissé (Les Chevrières)
· Dans la vallée au second plan : Beaujolais Blanc
· Autour des premières maisons : Beaujolais-Villages Rouge,
· En pied du Mont Bessay, sur la droite : Saint-Véran,
· Le Mont Bessay sur sa partie gauche jusqu’aux 2/3 de sa hauteur : Saint-Amour,
· Le haut du Mont Bessay : Beaujolais rouge (vignes du domaine de FA d’ailleurs)
A gauche le Beaujolais, à droite le Mâconnais et au milieu un joyeux mélange des deux !