Philippe Gilbert
Personnage complexe, idéaliste dans sa vision de la viticulture mais pragmatique à l'heure de faire des choix, « les pieds sur terre mais toujours dans la lune » pourrait-on dire, empreint d'une certaine folie mais jamais avare de sages pensées, Philippe Gilbert fait évoluer son vignoble familial de Menetou-Salon vers toujours plus de qualité dans les vins et de respect dans les équilibres naturels entre la vigne et les sols. C'est aujourd'hui un domaine référence de l'appellation avec des vins qui lui ressemblent, des vins qui ont une vrai âme.
- Le domaine et sa philosophie :
Le domaine au hameau des Faucards (crédit photo : site web du domaine)
Vignerons de père en fils depuis 1768, les Gilbert ont toujours été sur le village, auparavant entre Menetou-Salon et Parassy et puis ensuite au hameau des Faucards. Celui qui a donné son nom au domaine est le grand-père de l'actuel Philippe. C'est lui également qui a véritablement professionnalisé la viticulture au domaine (il avait 30 ha de vergers et 30 ha de vignes).
« Notre » Philippe lui, a repris l'exploitation en septembre 1998 dans des conditions un peu particulières. Il ne s'était pas préparé à être vigneron mais son statut de seul fils l'y destina brusquement à 20 jours des vendanges lorsque son père lui laissa les clés du domaine, désertant les rangs. Dans cette période où il n'y avait jamais de vin à vendre, les caves étaient vides. Il lui a fallu faire avec... Tout fût vendangé à la machine et les vins furent embouteillés le 15 décembre.
Puis, petit à petit, il mit en place des méthodes de travail plus respectueuses des raisins, de la vigne et des sols pour finalement faire le choix de l'agriculture biologique et de la bio-dynamie, mise en place en 2006 sur l'ensemble de la propriété.
Pour Philippe Gilbert ce choix n'est pas une fin en soi, son côté paysan ne serait pas contre l'utilisation ponctuelle d'une molécule de synthèse pour sauver la récolte et il respecte profondément le travail de ses pairs même s'ils produisent des vins souvent trop « technologiques » pour lui. Mais c'est « une source d'inspiration et un cadre » qui lui permet de produire des vins reflétant leur terroir. Et puis le logo lui a ouvert des marchés (notamment aux Etats-Unis où il vend 15 000 bouteilles par an) et il tient donc à le conserver pour cela également.
Les 28 ha que compte l'exploitation aujourd'hui sont donc en agriculture biologique et labellisés Biodyvin (15 ha en rouge et 13 en blanc).
En outre, le domaine expérimente tous azimuts pour progresser, de la protéodie hier au curetage aujourd'hui par exemple pour lutter contre l'esca. Conscient que les choses prennent du temps, ouvert à tout même si « on ne peut pas tout essayer », il retient petit à petit les choses qui font progresser et celles qu'il aime aussi, car « c'est un métier très sentimental ».
A noter qu'il a aussi ouvert en 2013 un petit restaurant à Menetou-Salon, Le Fluteau (30 couverts). Militant également pour le mieux manger, le concept de ce « bouchon » local consiste à n'acheter que des produits de la région en provenance directe du producteur. La carte y est différente chaque jour ; une halte toute indiquée pour les gens de passage.
- Les terroirs :
L'ensemble des vignes du domaine est situé sur l'appellation Menetou-Salon, qui rappelons-le au passage, est une magnifique et paisible contrée en pentes douces, en polyculture avec des bocages, des céréales, des bosquets et de nombreux clochers, dont celui de la cathédrale de Bourges en fond.
Le sous-sol est composé de marnes à huîtres du kimméridgien et calcaires du portlandien qui sont ici plus argileux et ne s'expriment pas sous forme de caillotes comme à Sancerre. Les terroirs sont souvent à l'interface entre les 2 et ne présentent pas toujours un profil clairement identifiable.
Le domaine y compte 8 parcelles de vignes :
Champaloin (Commune de Vignoux, 7 ha d'un seul tenant) : Elle comprend 3 ha de sauvignon (dont 2 ha plantés par son grand-père à la fin des années 1960) et 4 ha de pinot noir. Le sol du bas est assez gras et riche, il donne des rouges sur le fruit et le velours. La partie médiane est composée de sols rouges plus argileux que calcaires avec des oxydes de fer, c'est un bon terroir pour le pinot noir, et la partie du dessus, plus calcaire, est quant à elle un bon terroir pour le sauvignon (plus d'acidité et de minéralité). Des plantations ont été faites en 2011 et 2013. Celle de 2011 est vigoureuse, Philippe Gilbert va la concurrencer davantage en laissant plus d'herbe. Celle de 2013 a beaucoup souffert du mildiou.
Champaloin vue du bas du coteau (pinot noir enherbé sur sol riche)
- Les Treilles (4,7 ha dont 2 ha de pinot noir) : autre parcelle emblématique du domaine, plantée de vieilles vignes (fin des années 1960) sur un coteau argilo-calcaire magnifique exposé plein sud, elle produit depuis 2002-2003, les raisins qui entrent dans la cuvée Les Renardières en blanc comme en rouge. (Les Renardières est le nom de la parcelle cadastrale où se situent les bâtiments d'exploitation).
Les Treilles par un beau soleil automnal
- Chandelières (4 ha dont 2 de sauvignon) : Parcelle plantée par ses parents (1974-1976), orientée Est, où le sol est composé de terres ferrugineuses du kimméridgien (marnes à huîtres). Elle est très touchée par l'esca.
Marnes kimméridgiennes à « oreilles de poule » (petites huîtres) de Chandelières
- Davet (4,5 ha, moitié rouge, moitié blanc) : Dans la famille depuis toujours, ce clos a été replanté en 1990-1991. La vigne y est partiellement enherbée, pour limiter une vigueur un peu trop forte.
- Le Clos de Morogues (4,6 ha, parcelle cadastrée Les Barberies) : Seule parcelle ayant été intégralement plantée en rouge par son père (qui faisait pourtant 50% pinot / 50% sauvignon sur toutes ses plantations) alors que Philippe le considère comme un grand terroir de blanc. C'est un coteau exposé Sud-Est sur un terroir intermédiaire Kimméridgien-Portlandien. 2 grands chantiers y ont été lancés : le premier consiste à drainer l'eau au-dessus de la vigne et à la canaliser pour qu'elle n'entre pas dans la vigne ; le second consiste à surgreffer le pinot noir avec du sauvignon (5 000 pieds surgreffés pour l'instant).
Sol du Clos de Morogues, avec des marnes à huîtres et du calcaire
- La Montaloise et Le Clos du Bourg sont 2 parcelles plantées de sauvignon uniquement (en 2000). Au Clos du Bourg, il y a encore 70 ares à planter, ce qui est prévu en 2016 (et là ce sera du pinot noir en sélection massale).
- Le Moulin-à-Vent (commune de Vignoux, à côté des ruines de l'ancien Moulin-à-Vent de Menetou-Salon) : Il s'agit de la dernière plantation effectuée en mars 2014, du sauvignon en sélection massale planté à 7300 pieds/ha (1x1,40 m). Le terroir est majoritairement du Portlandien avec quelques traces de kimméridgien...
Plantation de Mars 2013 (sauvignon en sélection massale)
- La culture de la vigne :
« Ne pas contraindre la vigne mais l'accompagner pour obtenir d'elle ce qu'elle peut produire sans s'épuiser et en exprimant son identité. »
Voilà qui résume bien la manière dont Philippe Gilbert conçoit la viticulture. Bien sûr, il faut intervenir, mais l'observation est un préalable ici à toute intervention, afin d'éviter des erreurs sur le long terme que pourraient engendrer l'application de «règles».
Le travail des sols, qui avait commencé dans Les Treilles, est effectué partout depuis 2006 (date de la certification) après une période de transition qui fût nécessaire pour s'équiper et s'organiser.
L'équilibre à long terme est recherché, on ne corrige pas brutalement les carences comme le préconiserait l'œnologie, en fer par exemple ; on ne veut pas donner à la vigne l'information que le fer vient d'en haut, car alors elle n'ira pas le chercher en bas et on ne favorisera pas un enracinement profond, plus pérenne et plus qualitatif.
Pour les plantations, Philippe Gilbert n'utilise que des sélections massales (faites notamment chez Gérard Boulay), plus qualitatives et moins sensibles à l'esca. Les sols sont préparés longtemps à l'avance, avec des cultures d'herbes (luzerne, avoine) favorisant la régénération des sols sur plusieurs années. Une densité de 7500 pieds par ha est appliquée, les parcelles plantées par son père étant plutôt à 6600 pieds/ha.
Comme évoqué précédemment, Philippe Gilbert a lancé plusieurs « chantiers » d'envergure. Le premier d'entre eux est le curetage. Technique mutilante qui fait peur à beaucoup de vignerons, elle existe depuis une douzaine d'années, notamment chez Joël Cirotte à Bué, chez qui Philippe a constaté qu'il n'y avait presque pas de manquants. Il s'agit d'éliminer les zones infectées par le champignon (jaunes et spongieuses) à l'aide d'une toute petite tronçonneuse, ce qui peut prendre 15 à 30 minutes par pied, le laissant parfois dans un état surprenant (voir photos ci-après). Les pieds curetés sont fragilisés et doivent souvent être tutorés ; ils ne produiront pas ou peu l'année suivante mais au moins le système racinaire est conservé et le potentiel qualitatif de la vigne n'est pas affecté, ce qui est le cas quand on remplace les ceps touchés par de nouveaux plants.
Ceps touchés par l'esca après curetage
C'est un travail colossal et il n'est pas encore réalisé sur toute l'exploitation. Si Les Treilles sont curetés à 100% de même que Le Clos du Bourg (vignes de quinze ans), le travail est en cour sur Champaloin et Chandelières et Davais est juste commencé.
Le second chantier d'importance est celui du surgreffage de sauvignon sur pinot noir entrepris sur la parcelle de Morogues. Le terroir est plus propice au sauvignon et c'est en plus un secteur où le mildiou fait souvent des dégâts, ce qui justifie aussi la transformation du vignoble (le pinot noir est beaucoup plus sensible au mildiou que le sauvignon). En 2013, 23 ares avaient été surgreffés et en 2014 30 ares. Philippe Gilbert a prévu de faire une pause après avoir transformé 1 ha.
Cep surgreffé en 2013 (Sauvignon sur Pinot Noir)
- Le travail à la cave :
La vinification des blancs est classique. Pour les élevages, Il y a eu de nombreuses tentatives (contenants, durée) de travail sous bois mais les résultats ne lui ont pas plu. La personnalité de ses vins ne s'accommode pas bien du bois selon lui. Ils sont donc élevés en cuve à 100%. Il voudrait faire des cuves ciment enterrés pour les élevages des blancs. Les blancs sont mis en bouteille après 1 an d'élevage.
Les 2 vins rouges du domaine (peut-être 4 à partir de 2014 car 2 parcelles seront isolées et vinifiées séparément), Les macérations ont lieu en cuves bois fermées (une partie de la vendange est égrappée et une autre en vendange entière). Il y a très peu de trituration (pas de pigeage), seulement des remontages légers. Les élevages ont également beaucoup changé en rouge. Il n'y a désormais plus de fût neuf mais seulement des fûts de 4 ans et plus. Ils durent 20 mois environ.
A noter que le domaine fait également un rosé qui est travaillé comme un vin blanc, avec une production d'environ 60 hl par an.
Les doses de soufre libre utilisées sont de 30 mg/l.
- Les vins (dégustation du 06/08/14) :
Le caractère commun aux vins du domaine est la droiture et la précision.
Menetou-Salon rouge 2012 (mise en bouteille en jours fruit les 29/07/14 et 30/07/14) : Très joli fruit, présence tannique notable qui va demander un an ou 2 de patience.
Menetou-Salon rouge Les Renardières 2012 (mise les mêmes jours) : Nez très expressif. Top niveau. Il y a quelque chose dans ce vin, une distinction, une élégance rare... Soyeux, finesse, fruit éclatant.
Menetou-Salon blanc 2012 (mise en Octobre 2013) : Vin pur avec un éclat exceptionnel et une grande délicatesse dans l'expression du fruit.
Menetou-Salon blanc Les Renardières 2012 : Un vin à la fois riche et classieux qui est exceptionnel sur l'appellation. Ce sera un grand vin après 1 an de bouteille.
Dossier réalisé à partir des 2 visites au domaine effectuées les 5 Août et 30 Octobre 2014 (prises de vues dans les vignes).