Le millésime 2015 en Beaujolais
Si vous posez la question aux vignerons du Beaujolais, vous aurez des avis nuancés selon qu'ils privilégient la qualité ou la quantité. Car si 2015 a poursuivi la tradition de grandeur des millésimes en 5, il n'a pas rempli les cuves, loin s'en faut...
La vigne en 2015
L'hiver 2014-2015 se démarque uniquement par une pluviométrie élevée (450 mm de Novembre à Mars), ce qui permettra aux vignes de débuter leur cycle végétatif avec des réserves hydriques importantes (là où les sols peuvent en faire...).
Début Avril, il n'y a toujours aucun signe de démarrage de la vigne sous un temps gris et frais et on se dit que ce ne sera pas un millésime précoce. Erreur ! Une période de 20 jours très ensoleillée avec des températures qui dépassent les 25° l'après-midi débloque la vigne qui sort de sa torpeur à grande vitesse. Aucune gelée ne vient entraver le bon développement des jeunes pousses qui grandissent à vue d'œil.
Du 25 Avril au 10 Mai, le temps est gris, pluvieux et frais, les vignerons sont dans les vignes et enchaînent les traitements pour se protéger des maladies cryptogamiques. Puis le soleil revient en force et pour certains commencent une longue période de 3 mois sans la moindre goutte d'eau.
Vignes de La Roilette le 12 Mai 2015
C'est sous un soleil radieux et des températures chaudes que la floraison s'accomplie lors des premiers jours de Juin. Ces conditions parfaites font qu'elle sera particulièrement courte (3 à 4 jours), ce qui est excellent pour l'homogénéité des maturités des raisins.
Si un épisode de grêle touche un petit secteur de Vaux en Beaujolais au Perréon dans la nuit du 5 au 6 juin, tout le reste du Beaujolais est épargné et le beau temps continue... La situation sanitaire est excellente, le mildiou est absent et l'oïdium qui sévit dans beaucoup d'autres régions cette année n'est pas très répandu ici. Sur la base du nombre de grappes, le potentiel de rendement pour 2015 s'oriente alors vers un millésime normal.
En juin, il fait beau et chaud, c'est déjà l'été. Il pleut un peu par endroit (entre 15 et 60 mm), pas du tout à d'autres... Et si les maladies sont en retrait, le ver de grappe lui est bien là avec même cette année une attaque de seconde génération pouvant réduire le potentiel de baies par grappe :
Attaque de ver de grappe sur des raisins de Richard Rottiers (Moulin-à-Vent)
A partir du 29 Juin, des températures caniculaires s'installent jusqu'au 7 Juillet et le soleil est omniprésent. Cet épisode précoce a pour conséquences de griller quelques baies et des feuilles, de manière plus ou moins importante selon les secteurs. Les pentes les plus exposées souffrent beaucoup, notamment sur Chiroubles, avec déjà une perte de rendement conséquente pour certains.
La canicule fait ensuite du va-et-vient, le mois de Juillet étant tout simplement le plus chaud jamais enregistré en Beaujolais (moyenne des maximales = 31,5° soit +5° / normale), également un des plus ensoleillés (340 heures d'ensoleillement, +15%) et un des plus secs (16 mm qui furent sans effet car tombés en 5 fois lors d'orages « avortés »).
La vigne s'étant mise en veille pendant les jours les plus chauds, le climat n'a pas accéléré le cycle végétatif et la véraison de déroule dans les derniers jours de juillet, légèrement plus frais.
Grappe en pleine véraison à Moulin-à-Vent le 30/07/15
A l'issue de cette période très stressante pour les vignes qui se termine - enfin - le 8 août par des pluies salvatrices et une chute des températures, le potentiel de rendement n'est plus du tout le même !
Le mois d'août, celui de la maturation des baies, est beaucoup plus équilibré, avec quasiment un retour aux normales de saison et surtout 3 bonnes pluies efficaces les 8, 13 et 23 août. Cela permet à la vigne de se refaire une santé, les raisins mûrissent de façon idéale et reprenent un peu de poids. Les nuits fraiches sont un soulagement pour ne pas dégrader des acidités déjà suffisamment basses. Les vendanges approchent à grand pas et la qualité semble parfaite...
Raisins parfaitement mûrs et sains pour les vendanges (Domaine J-C. Lapalu)
Les vendanges débutent dans les secteurs les plus précoces le 24 août, mais la plupart des vignerons attendent fin Août. Ce sont des vendanges précoces, mais rien à voir avec 2003 qui avait vu les premiers coupeurs se précipiter le 14 Août. Plutôt comparable à 2007, 2009 ou 2011 quand les vendanges avaient respectivement commencé les 27, 30 ou 25 Août.
Elles sont marquées par un nouvel épisode chaud de 3 jours avec vent du sud qui concentre les raisins et oblige à accélérer pour conserver des degrés raisonnables (et à refroidir la vendange avant encuvage si possible). Les derniers coupeurs quittent les vignes le 11 septembre sur les secteurs les plus tardifs.
Qualité de la vendange 2015
Du caviar... enfin presque, du gamay !
La récolte est donc parfaitement saine et il y a très peu de tri à faire (quelques grapillons vert, quelques baies grillées), aucune trace de pourriture et une excellente homogénéité dans la maturité des raisins (maturité phénolique parfaite). Les degrés potentiels sont élevés, entre 13° et 15°, voire 15°5 sur certaines parcelles, avec une moyenne qui se situera sans doute vers 13°7 ou 13°8 sur les vins finis. Les teneurs en anthocyane sont très élevées, les robes seront donc exceptionnellement denses.
Les acidités sont assez variables selon les terroirs. Les acides maliques ayant été dégradés par la chaleur, leur taux est logiquement faible mais les niveaux d'acide tartrique sont souvent très bons et les pH des moûts sont rarement très élevés (vers 3,5). C'est tout de même un point surveillé de près par tous les vignerons, quelques-uns ayant même ajouté un peu d'acide tartrique pour que la vinification se passe au mieux.
Si tout le monde loue la qualité exceptionnelle des raisins, presque tout le monde regrette également le faible rendement. Parmi les vignerons que je distribue, les rendements vont de 18 hl/ha à 45 hl/ha avec une moyenne de 33 hl/ha, ce qui est très faible pour le gamay. Compte-tenu des conditions du millésime, il y a très peu de différence cette année entre les bios et les conventionnels de ce point de vue.
Les vins
En fin d'élevage et dans leurs premiers mois de bouteille, les vins offrent tous un fruit exubérant auquel il est bien difficile de résister. Les structures de bouche sont très variables selon les choix de vinification, de très souple pour les macérations carboniques à très serrée chez les gens ayant fait des extractions fortes. Mais partout des vins riches, veloutés, et amples. L'acidité est le paramètre discriminant entre de grands vins parfaitement équilibrés et d'autres un peu mous et donc moins sapides.
Les vins les mieux construits et les plus équilibrés se garderont 30 ans sans soucis ; il y en a plus qu'on imagine et il n'est pas forcément nécessaire d'encaver le top 5 du Beaujolais pour cela. A l'instar de 2009, ces mêmes vins passeront par une phase de mutisme entre 2 et 8 ans de bouteille, selon les crus, avant de s'ouvrir à nouveau. Attention donc au choix des bouteilles ouvertes dans cette période.
Dossier mis à jour le 13 Mai 2016.